L'échelle de Darwin
par Greg Bear
- Science-fiction, évolution, biologie
[SPOILER]
Une dystopie où les espèces, et notamment l'homme évoluent par un mécanisme saltationniste.
Critique
Un très bon ouvrage. Rigoureux scientifiquement. L'histoire est prenante et on plonge dans les organes politiques et scientifiques qui doivent gérer la crise.
Je ne peux reprocher que 2 choses à ce roman :
La première plutôt anecdotique, c'est le “Salut, Mitch” de la tout juste née Stella Nova… certes, je comprends l'effet recherché : il faut choquer le lecteur avec un truc qui le souffle. Mais là, c'est juste trop. Car cette phrase fait partie de rituels sociaux qui bien qu'extrêmement basique nécessite un minimum d'observation et d'apprentissage. Même si on considère qu'elle est capable de reconnaitre Mitch d'après sa voix, comment diable pourrait-elle avoir compris que l'on salue quelqu'un lorsqu'on le rencontre ? Elle n'a jamais rencontré personne elle-même. IL faudrait qu'elle ait réussi à percevoir très finement les interactions sociales de sa mère alors qu'elle était encore dans son ventre ! Et puis elle vient de subir une énorme série de traumatismes, ses sens doivent être littéralement submergés de nouvelles sensations et elle fait quoi ? “Salut, Mitch” ???
La seconde, est significativement plus large et profonde que la première.
Pour mettre en œuvre son mécanisme d'évolution saltationniste, il faut imaginer que tout un pan de du génome humain (rôle joué par les HERV selon Bear) fonctionne de manière à fabriquer un nouveau génotype mais sans jamais l'exprimer. Une telle fabrication nécessiterait alors l'existence dans ce mécanisme d'un sous-mécanisme capable de tester et sélectionner les nouveaux gènes. Un tel mécanisme serait extrêmement complexe car il devrait simuler l'environnement des individus en plus des interactions intrinsèques du nouveau génome. Car ce qui est testé par la sélection naturelle, c'est bien le phénotype : le résultat de l'interaction du génome avec l'environnement.
L'existence d'un tel système hyper complexe ne pourrait être justifié que par un avantage évolutif décisif. Hors, le seul avantage produit par une telle machinerie serait de maintenir un phénotype stable pour la population en passant directement au prochain phénotype stable avec beaucoup de caractères nouveaux d'un seul coup. En quelque sorte de passer directement de la version X à la version X+1 sans passer par tout un tas de version intermédiaires X.y.
Certes un tel mécanisme est avantageux, mais avec un avantage bien trop faible pour justifier une machinerie aussi folle qu'un simulateur virtuel dans le génome. Un environnement de test intégré à la cellule. La capacité de calcul requise est démentielle. Si des cellules étaient capables d'une telle prouesse en leur sein, un organe comme le cerveau humain serait ridicule. A moins que ce ne soit le cerveau lui-même le siège de ces calculs et que les résultats ne soit intégrés par la suite. Aucun mécanisme connu ne semble aller dans ce sens.
Hors le récit de Bear semble indiquer que les mutations prennent place dans le fœtus SHEVA de 1e stade. Dans quelques milliers de cellules, en quelques jours ?
Sur ce point le récit de Bear me parait bien trop faible. Le saltationnisme classique implique que des changements majeurs peuvent affecter l'ensemble d'une population en l'espace de quelques générations. Quelques générations. Pas 1 seule.
L'élégance de la théorie de la sélection naturelle c'est qu'elle ne requière que des axiomes très faibles et qui ont tous été retrouvés dans le vivant :
- Un support informatique héréditaire (ADN)
- La capacité de ce support à changer légèrement (mutation)
C'est TOUT. La sélection naturelle ne nécessite rien d'autre. Tous les “calculs” de la sélection sont effectués par la vie des organismes elle-même. Le résultat net à chaque génération de la reproduction des phénotypes les plus adaptés, la disparition des autres. Guillaume d'Okham serait comblé.
Tout le reste n'est que mécanismes secondaires pour améliorer la qualité où la rapidité du mécanisme mutatoire ou de la sélection. Tout ce qui tourne autour du sexe n'a que ce seul et unique but.
Au contraire, la thèse de Bear nécessite une machinerie complexe et puissante où les calculs de sélection sont pris en charge par le génome lui-même. Une hypothèse inutilement lourde et instable : inélégante.